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Les Niouzes de Nitt'
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Les Niouzes de Nitt'
  • Chine, Japon, États-Unis, mes salles de classe, mes découvertes, mes coups de gueule et surtout mes coups de cœur... bienvenue sur les Niouzes de Nitt, prof de Français Langue Étrangère, jeune maman, touche-à-tout.
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29 août 2013

Anne

Nous nous sommes rencontrées dans la boutique où travaillait ma mère. J'avais treize ou quatorze ans, toi dix de plus et tu finissais des études de philosophie. Journaliste en herbe, tu as ensuite créé et collaboré à de nombreux articles et projets avec des gens passionnants.

Guides toutes les deux, nous avons accroché un peu, puis davantage, et lorsque tu as pris ton flot rouge de guide aînée, tu m'as demandé d'être là, moi la jeune guidouille, en uniforme, pour te remettre le flot vert.
Ce que j'ai fait sans comprendre que je devais te l'accrocher à la chemise jusqu'à ce que, te voyant tourner sur toi-même par deux fois pour me mettre l'épaule bien en évidence sous le nez, je fasse le lien et le geste approprié. Ton sourire en coin en disait long à la fois sur l'importance de ce moment pour toi et sur l'humour dont tu ne te départais jamais. Tu as surpris tout le monde en choisissant comme image de progression le moteur d'une voiture. Avec la philo, cette passion était déjà bien ancrée. Je ne sais toujours pas comment tu as fait pour saisir le fonctionnement complexe de la mécanique automobile.

Les voitures. Tu en as eu plusieurs, et les dernières ont vécu peu de temps. Pourtant tu conduisais impeccablement. La faute à pas de bol. Pendant une longue période tu a été super copine avec le garagiste local que tu fonçais voir au moindre petit souci. Ta marotte, c'était de collectionner les plaques d'immatriculation. Ainsi que les photos des plaques "place de l'église" qu'on trouve dans presque tous les villages de France. Vieux souvenir de la maison de vacances familiale dans le Jura si je me souviens bien. Où que nous allions ensemble, si nous passions devant l'église, il te fallait vérifier le nom de la place qui la jouxtait et trouver le moyen d'en faire un cliché si son nom était le bon.

Tu aimais les fromages, la tartiflette découverte chez nous, la Lorraine, le Jura, la Bretagne rencontrée tardivement, alors que tu avais besoin de changer d'air, et Paris où tu as passé ta vie. Tu aimais les animaux, tout particulièrement nos animaux de compagnie, et tu rendais Gribouille la chienne à peu près aussi gaga que toi quand tu la voyais. Vous faisiez la paire au jardin pour les câlins-clope.

Tu étais belle. Une peau magnifique, de jolis cheveux courts aux reflets de tous les châtains, des yeux sombres où on ne lisait pas toujours toutes les épreuves par lesquelles tu es passée. Et il y en eut tant.

Elles ont commencé dans ton enfance. À neuf ans tu as vu mourir ton père. Puis tu as dû soutenir ta mère et tenir ton frère, qui ne voyait pas l'utilité de vivre, à bout de bras. Ta famille était tout pour toi, et elle se défit il y a deux ans. Ta mère fut rappelée au Ciel ; restait ton frère, sa femme et leurs deux filles. Puis ton frère trouva la porte de sortie de cette vie qu'il avait essayé de quitter tant de fois déjà. Ce soir-là, lorsque tu l'as appris, tu étais chez ma maman, avec moi. Je t'ai prise dans mes bras pour que tu puisses pleurer sur une épaule.
Et je suis devenue ta petite sœur.
Et puis les pépins de santé se multiplièrent, s'accumulèrent, devinrent de gros ennuis, puis de vrais soucis, pendant ce temps tu t'épuisais et t'installais dans l'appartement de tes rêves, acheté avec un héritage dont tu te serais bien passée. Un scooter par terre et toi avec, une voiture bugnée, une deuxième, un livreur de pizza qui se prend pour un chip'n dale dans ton salon et fait un strip intégral alors que tu es coincée chez toi et déjà bien fragile ; et voilà que les médecins commencent à se perdre en conjectures.

Cet été tu annules ton voyage en Bretagne parce que tu vas trop mal, mais n'oublies pas d'appeler régulièrement ma mère que tu aimais tant pour donner des nouvelles et chercher un peu de soutien.

C'est hier soir qu'elle me l'a appris.
Une cigarette, un malaise, l'incendie de ton appartement - redécoré tant de fois par maman, quelle ironie - ton asphyxie.

Tu avais encore de belles années devant toi, et plus encore. Ta joie, tes interminables appels téléphoniques, tes petites ondes d'espoir et de bonne humeur, tes surnoms pour tout et tout le monde vont me manquer. Gribouille va se demander où tu es passée...

Tu es passée là-haut, dans les bras de notre sainte patronne, auprès de ta famille. Vous voilà enfin réunis !

Laisse-moi te dire, égoïstement : Anne, la vie sans toi, c'est moins joli. Mais je suis heureuse pour toi. Tu ne souffres plus, tu ne t'inquiètes plus, tu ne te poses plus de grandes questions compliquées sur la vie. Tu as la Vie éternelle maintenant et toutes les réponses que tu veux. Je t'envoie de petites ondes pleines d'affection. Tâche de nous envoyer de petites ondes toi aussi, pour que nous gardions toujours le sourire en pensant à toi.

À Dieu grande sœur.

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Commentaires
A
Oh... je te lis seulement maintenant, et découvre donc les détails... ça a dû te faire un choc que je parle d'incendie mardi... je te renouvelle mon engagement de prière !!! Gros gros bisous...
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A
Merci d'avoir partagé cela, sans fausse pudeur... qu'elle repose en paix...
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C
Une chic femme, que j'aurais aimé mieux connaître... Puisse-t-elle vous accompagner toutes les deux, ta maman et toi, depuis auprès du Père, pour toute l'affection et l'aide que vous lui avez apportée !
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S
Nous t'envoyons tout notre soutien et également notre amour.
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M
jolie lettre qu'elle va surement aimer là-haut...bisous
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