Coup dur en cours

J'ai perdu un apprenant.

Aujourd'hui, lundi 5 février, j'ai perdu un apprenant.

J'explique: tous les lundis, avec ma classe de français langue étrangère, les apprenants se transforment en journalistes, photographe et rédacteur en chef. Cela fait trois semaines que ça dure et qu'ils en sont contents. C'est un gros travail, mais je le sais cela leur apportera beaucoup, beaucoup plus que n'importe quel exercice bateau dans un livre. Je me suis permis cela parce que ces apprenants-là sont souples, et acceptent de ne pas suivre leur manuel à la lettre.

Eh bien pas tous. J'ai un apprenant qui ne venait plus le lundi depuis trois semaines, et qui est revenu. Les autres ont compris et accepté de faire un journal tous les lundis. C'est ce qu'on appelle savamment un "contrat didactique": le prof et les élèves se mettent d'accord sur ce qu'on attend d'eux et sur le fonctionnement du cours. Il n'était pas là à ce moment-là, et il a refusé tout net de travailler aujourd'hui. Il voulait son manuel, à tous prix, il n'en démordait pas. Un de mes plus doués, de mes plus vivants. Première claque, lui voulait apprendre avec le manuel, et une autre voulait faire du théâtre comme vendredi. Je réussis à mettre tout le monde d'accord, manque de perdre patience parce qu'ils étaient fatigués et ne voulaient pas travailler, et lui demande à "regarder, juste regarder".
Mon statut de prof et mon autorité étaient en jeu. Ca a l'air ridicule, mais céder à un apprenant qui refuse de faire ce que tout le monde a accepté il y a 10 jours, laisser faire n'importe quoi sous prétexte d'être gentille et de leur faire plaisir, c'est perdre toute autorité, leur montrer qu'on peut faire ce qu'on veut pourvu qu'on insiste un peu, et que je n'ai aucune personnalité. C'est perdre mon statut de prof, et jouer la démagogie. Je suis là pour les faire travailler, pour les stimuler, même quand je suis malade et fatiguée. Je ne leur ai pas dit à quel point je suis vidée parfois le matin quand je suis en classe avec eux. Et pourtant je suis là et je m'arrange pour qu'ils progressent. C'est une découverte: même avec les adultes, le travail du professeur c'est de pousser les apprenants vers l'avant, parfois malgré eux.
J'ai forcé l'apprenant rebelle à écrire un article avec sa compatriote, il a alors accepté, puisqu'il n'était pas tout seul et que le travail à deux lui permettait de ne rien faire, ou de bien rigoler.

Je le soupçonne de ne rien avoir fait. A la fin du cours, je lui ai redit que tous les lundis c'était journal, et que s'il ne voulait pas faire le journal, il ne fallait pas venir le lundi.

Il ne viendra plus du tout, il l'a dit à l'accueil en partant. J'en suis triste pour lui, mais j'ai ma conscience pour moi. Je crois à mon projet, et j'ai déjà assez peu d'autorité pour le laisser tout bouziller. C'est assez terrible, quand on y pense, d'être obligée de sacrifier un apprenant pour le bien des autres et le sien. Bon, y a pas mort d'homme, mais remettre quelqu'un en place c'est également se prendre une belle gifle!
Enfin. A Dieu vat. Il reviendra peut-être, quand il verra que les autres sont ravis de leur journal.

Comments

[Nitt]

Hi hi hi! Ca fait plaisir de voir une trace de ton passage!
Ben oui, je suis prof, pour le meilleur et... pour le pire! Manque plus que le diplôme officiel! C'est ça entrer dans le monde des adultes, certains se marient et ont des enfants, et d'autres en attendant affrontent un travail et tout ce qui va avec - sauf que j'ai pas encore le salaire! oups!

[Alix]

Bah dis donc, je pensais pas que tu étais prof à ce point là.
Ca m'épate !!! Et tu parles au tableau et ils t'écoutent ? La vache !!!
Bravo ma grande !